Allez, avouez que vous aussi cela vous parle cette petite fille gourmande qui s’apprête à avaler son sandwich en se disant qu’elle ne veut pas regarder en arrière et se rendre compte qu’elle aurait le pu manger ! Que nous dit-elle ? Qu’elle ne veut « pas en perdre une miette » au sens littéral, c’est-à-dire qu’elle veut tout manger et ne rien laisser dans son assiette. Et en filigrane qu’elle a peur de s’en vouloir de ne pas avoir mangé quelque chose qu’elle semble manifestement apprécier.
Et vous savez quoi, ce n’est pas grave d’avoir ce type de comportement ! Il n’y a aucun souci à manger trop, à « se taper la cloche » comme on dit, dans certaines occasions ! N’oublions pas que nous ne sommes pas censés être (et heureusement d’ailleurs !) des mangeurs parfaits, toujours à l’écoute de nos sensations alimentaires et respectueux de notre satiété. Beaucoup de situations peuvent nous amener à manger trop, que ce soit dans un restaurant gastronomique parce qu’on veut goûter à tout, par convivialité ou effet d’entraînement dans un groupe (ou pire, autour d’un buffet, la bête noire de nombre de mangeurs en restriction alimentaire) ou parce que nous avons une envie de manger émotionnelle, la nourriture servant alors d’exutoire à un inconfort. Le tout est de savoir pourquoi, de comprendre nos mécanismes internes, bref de remettre de la conscience dans nos façons de faire.
Pour cette petite fille comme pour nous, il existe sans doute plusieurs motivations à ne pas vouloir en laisser une miette.
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Ne pas gâcher
Qu’il s’agisse d’une conviction éthique ou morale ou de simples habitudes, nous connaissons tous des personnes qui se forcent à finir leur assiette (voire celles de leurs enfants) par automatisme, sans plaisir véritable, juste pour « ne pas laisser ». Comme si la seule option était entre manger et mettre à la poubelle ! Pour parer à la peur de jeter, rappelons que des solutions anti-gaspillage toutes simples existent comme recycler et accommoder les restes, congeler voire offrir de la nourriture…. ou des plats cuisinés ! C’est ce que je fais avec bonheur toutes les semaines au retour de mon atelier en maison de retraite : les compositions des résidents viennent remplir une grosse marmite, sans distinction des fruits et des légumes, et la soupe créative qui en résulte va mijoter un bon bout de temps avant de finir dans les Tupperware de mes voisins ! Autre solution, au restaurant, n’hésitez pas à demander un doggy bag, ce qui vous permettra de continuer à apprécier votre repas (en ne mangeant pas au-delà de votre satiété) tout en vous délectant de la possibilité de réitérer la dégustation chez vous, quand la faim sera revenue. Je le sais assez souvent, et je vous assure que cette pratique est de plus en plus naturelle et n’appelle aucune remarque de la part des serveurs.
En avoir pour son argent
Parfois, ce sont des considérations financières qui nous poussent à choisir ou à finir un plat. Un peu dans la logique « j’ai payé, j’y ai droit ». C’est par exemple ce qui nous fait choisir des plus grosses portions, pour être sûr d’en avoir assez ou parce que le rapport quantité / prix est plus attractif. En filigrane, se cachent la peur de manquer et la volonté d’être sûr d’être rempli et de ne pas avoir faim. Dans une autre mesure, ce type de raisonnement est également ce qui nous pousse à manger comme (et surtout autant) que les autres, à faire des choix strictement identiques pour ne pas nous sentir lésés. Telle cette jeune femme qui reconnait qu’elle ne peut pas s’empêcher de se servir autant que son compagnon parce qu’elle partage son frigo avec lui, alors qu’elle sait pertinemment que ses besoins sont moindres. Focaliser sur le fait d’en avoir pour son argent, c’est oublier que ce qui est rentable n’est pas forcément ce qui nous convient en termes de quantités et ce qui est juste pour nous (pas plus que ce qui est égalitaire par rapport aux autres n’est forcément équitable). C’est manger en se basant sur des considérations extérieures à nos ressentis corporels.
Ne pas regretter
Cette petite fille semble avoir peur de regretter plus tard d’avoir laissé son sandwich et est prête à le manger quitte à en subir des désagréments physiques (l’inconfort d’avoir trop mangé, la lourdeur au niveau de l’estomac) ou psychologiques (la culpabilité liée au fait d’avoir mangé au-delà de sa faim, voire l’impression désagréable de s’être considéré comme une poubelle en se forçant à finir son assiette !). Comportement qui satisfait au vieil adage selon lequel « il vaut mieux vivre avec des remords qu’avec des regrets », en gros il vaut mieux regretter d’avoir fait quelque chose que regretter de ne pas l’avoir fait… C’est oublier que les plaisirs de la table sont reproductibles (nous pouvons trouver le même aliment ou quelque chose d’équivalent un peu plus tard) et que nous n’avons pas besoin, dans nos pays qui regorgent de possibilités de nous nourrir à toutes heures, de manger pour plus tard, par anticipation et par peur d’avoir faim.
Renoncer et savourer
Au fond, ce que nous rappelle cette petite fille, c’est à mon sens deux messages clés :
1/ Il faut savoir faire un choix et l’assumer avec sérénité.
On peut choisir de manger ce sandwich, en toute conscience, pour l’une des raisons qui précèdent ou on peut aussi décider d’y renoncer, de le laisser dans son assiette et de le garder pour plus tard. Choisir de ne pas le manger, c’est-à-dire y renoncer, est aussi un choix, un acte délibéré et responsable, qui ne peut donc pas être une source de regret potentiel si l’on se réfère à l’adage cité plus haut. D’autant que le renoncement est facile à faire car il ne s’agit pas de se priver de quelque chose mais de différer ce plaisir dans le temps : mangé sans faim, ce sandwich n’apporterait sans doute aucun plaisir immédiat et l’on gagnerait probablement à attendre que la faim réapparaisse pour en avoir un plaisir maximal. Il nous appartient en tant qu’adultes de décider ce que nous souhaitons en toute autonomie. C’est notre capacité de jauger ce que nous préférons dans le présent tout en anticipant le futur, couplée à la conscience que nous ne pouvons pas « tout avoir, tout de suite » qui nous aide à faire le meilleur choix.
2/ Il est surtout nécessaire de savourer, pleinement et avec tous nous sens.
C’est du reste toute la différence entre les mots « profiter » et « savourer ». Arrêtons-nous un instant sur ces deux mots et tâchons de lister les évocations de « profiter » versus « savourer ». Le premier renvoie clairement, à mon sens, à des connotations de rentabilité et de retour sur investissement. Il est empreint de sonorités dures, qui claquent. Il signifie l’urgence et la prédominance du mental. Quand le second parle de ralentir et s’étire en longueur, est doux et presque mélodieux à l’oreille. Il donne la primeur aux sensations et aux ressentis, sans calcul ou interférence du mental. Nul doute alors qu’il vaut mieux prendre le temps de savourer plutôt que de vouloir profiter à tout prix.
Dans un cas comme dans l’autre (renoncer comme savourer), la solution est encore et toujours de revenir à soi et de s’interroger sur ses besoins propres pour être capable de les écouter sans frustration ni regret. Et si on essayait ? En se félicitant quand on y arrive, et sans se flageller quand ce n’est pas encore tout à fait ça bien sûr !
Crédit photo : agence Lingvistov dont j’adore décidément les illustrations, en apparence anodines ou juste humoristiques et pourtant matières à réflexions ! J’en avais d’ailleurs déjà utilisées pour ces articles sur l’orthorexie et le côté « chacun pour soi » quand il s’agit de nourriture !
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