Finis ton assiette !

par | Mieux se connaître

Allez, je suis sûre que, vous aussi, avez entendu cette rengaine pendant votre enfance. Peut-être même avez-vous en tête des souvenirs douloureux à ce sujet, des obligations de rester à table tant que votre assiette n’était pas (laborieusement) terminée, des leçons de morale interminables sur la faim dans le monde et la nécessité de penser aux petits Somaliens….  Si oui, vous allez sans doute vous délecter de cet article (très second degré, comme toujours) du Gorafi Les enfants qui meurent de faim remercient Jules, 6 ans, d’avoir fini sa purée. Comme lui à son âge, j’ai des souvenirs précis d’avoir été forcée à finir mon assiette à l’école : comme je n’aimais pas les pâtes mais que j’adorais les bananes, je restais seule à la cantine à côté d’une religieuse qui me donnait la becquée en me forçant à manger les deux aliments ensemble (dans la même bouchée… désespérément froide en l’occurrence), jusqu’à ce que mon assiette soit vide…. dans ma mémoire, ça durait des heures !

Une habitude qui vient de loin !

Cette obligation de finir son assiette est très souvent, pour les adultes que nous sommes devenus, une habitude profondément ancrée et une croyance que l’on remet difficilement en question. A tel point que certains d’entre nous finissent aujourd’hui leur assiette par automatisme, sans plaisir voire péniblement, parce que « cela ne se fait pas » de laisser. C’est la preuve que les ressorts psychologiques utilisés lorsque nous étions enfants sont toujours opérants (et diaboliquement efficaces !) : on se force pour faire plaisir ou pour ne pas vexer ou décevoir celui qui nous a préparé à manger ou pour faire comme tout le monde, parce que c’est comme ça qu’on a appris et qu’on n’ose pas faire différemment. A noter pourtant, l’obligation de finir son assiette est d’abord et avant tout culturelle. Dans certains pays, il est au contraire malvenu de terminer car cela signifie que l’on a encore faim. Cela sous-entend que l’hôte n’a pas préparé suffisamment de nourriture, et peut donc être perçu comme une offense à son hospitalité.

Heureusement, cette obligation de finir son assiette est de plus en plus battue en brèche aujourd’hui. Des conseils pratiques pullulent dans les magazines pour nous inviter à utiliser des contenants plus petits et de nouveaux modes de consommation (que l’on pense aux épiceries qui font uniquement de la vente en vrac, aux nouveaux services de partage des repas en ligne ou au développement du doggy bag dans les restaurants) vont dans le même sens : inciter les gens à respecter leur satiété ! Car c’est bien là le secret : écouter et faire confiance à ses sensations alimentaires, suivre les principes d’une alimentation intuitive, prendre le temps de déguster pour repérer le fameux point F au-delà duquel le plaisir de manger se transforme en écœurement…. et donc décider de finir ou pas de terminer son assiette, en pleine conscience. Le mouvement est même en train de se diffuser doucement dans l’éducation des enfants, comme en témoignent les articles invitant les parents à faire confiance aux capacités d’auto-régulation des bambins et à encourager leur autonomie en leur proposant de se servir eux-mêmes à table. On se rend compte depuis peu que les messages comme « finis ton assiette » tout comme les injonctions et autres chantages alimentaires (promesses de récompenses gourmandes ou menaces d’être privé de dessert) peuvent perturber cette capacité innée et donc modifier les comportements alimentaires, voire le rapport à la nourriture.  Ces messages peuvent également placer la nourriture au centre d’enjeux de pouvoirs, qui conduisent l’enfant à manger pour faire plaisir (quitte à se soumettre avec docilité aux desiderata de ses parents) ou au contraire à ne pas manger pour contrarier ses parents et se rebeller contre l’autorité. J’hésite (car je ne l’ai pas encore lu mais j’en ai entendu de très bons échos) à vous conseiller sur le sujet le livre de Patrick Serog et Roseline Lévy Basse La guerre des repas n’aura pas lieu qui donne à mon avis des éclairages intéressants sur le don et le contre-don autour de l’alimentation en famille.

Et si on remettait un peu de conscience dans cet automatisme ?

Evidemment, vous me voyez venir avec la cuisine thérapie, une fois adulte, il peut être intéressant d’explorer sa tendance à finir systématiquement son assiette pour remettre de la conscience dans ce comportement, sortir des automatismes et surtout mieux se comprendre.

  • Qu’est-ce que « finir toujours son assiette » dit de nous, de notre capacité à nous connecter à nous-mêmes pour interroger nos envies et nos besoins propres ? Qu’est-ce que cela laisse entendre de notre propension à nous autoriser à faire uniquement en fonction de nous, indépendamment des autres ?
  • Qu’est-ce que cela révèle de la confiance que nous accordons à nos sensations corporelles et à ce que dit notre ventre versus ce que nous dicte notre tête ?
  • Qu’est-ce que cela dit de notre tendance à être en pilotage automatique et à faire les choses sans y prêter attention ?
  • Qu’est-ce que cela révèle de notre attachement consciencieux ou soumis aux injonctions parentales ou éducatives entendues pendant notre enfance ?
  • Qu’est-ce que cela dit de notre capacité à transgresser les règles ?

A n’en pas douter, finir son assiette fait écho à sa capacité à se connecter à ses besoins, et est révélateur de notre docilité ou de notre volonté de nous conformer sagement aux attentes des autres. D’où l’intérêt peut-être de reprendre le pouvoir sur notre assiette, de s’interroger sur nos besoins et d’arrêter d’imaginer que d’autres les connaissent mieux que nous. L’enjeu est bien de revenir à soi, de questionner ses envies pour s’affirmer et s’émanciper en douceur.

En douceur parce qu’il n’est évidemment pas question d’opter entre finir son assiette ou jeter ! Halte à la pensée binaire, c’est cela aussi être adulte d’ailleurs : trouver des solutions intermédiaires, sortir du tout ou rien (finir ou jeter, faire plaisir ou contrarier), faire preuve de discernement et prendre des décisions responsables et équilibrées ! Il est tout à fait possible (et souhaitable) d’en laisser dans son assiette ET de recycler les restes. Par souci d’économie, par respect des produits ou volonté de lutter contre le gaspillage bien sûr, mais aussi pour respecter ses sensations alimentaires et se donner la possibilité de savourer le dessert. L’art d’accommoder les restes nous offre également l’occasion de faire preuve de créativité, comme en témoigne Sara Dickerman, une journaliste culinaire américaine, qui voit « une certaine poésie dans la continuité de la cuisine d’un jour à l’autre, pas exactement une rime, mais un écho, en tout cas, de ce qui a déjà été servi ».

Ce qu’on décide de faire avec son assiette (la terminer coûte que coûte ou écouter ses sensations alimentaires) tout comme d’ailleurs ce qu’on met dedans (il est ainsi révélateur d’observer le contenu des assiettes des mangeurs dans les buffets, quand la peur de manquer ou d’être lésé conduisent certains à se constituer des assiettes gargantuesques !) est au final à mettre en regard du sentiment de confiance en soi et d’autonomie, deux qualités qu’on acquiert en grandissant justement. Vaste sujet d’exploration de soi que ce comportement à finir ou pas son assiette ! Et encore, on pourrait aussi se pencher sur comment on finit cette assiette (par quel ingrédient, celui qu’on préfère ou celui qui nous plaît le moins ? en la savourant jusqu’au bout ou par automatisme ?…) pour prolonger la découverte de soi !

Crédit photo : Association Française de Pleine Conscience

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