Lettre ouverte aux parents et aux éducateurs désabusés…

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On a souvent en tête des idées reçues sur les jeunes : ils seraient paresseux, déconnectés de la réalité, incapables de communiquer….Il s’agirait d’une génération égoïste, qui s’intéresse peu aux autres et préfère le virtuel au réel… Ne me dites pas non, qu’on adhère ou pas à ces idées, elles font partie d’un certain inconscient collectif (tapez « idées reçues sur les jeunes sur Google, vous m’en direz des nouvelles !). Surtout quand on fait partie des gens « d’un certain âge » !

Alors quand la fondation Valrhona m’a proposé d’animer des ateliers de Cuisine Thérapie auprès de 30 jeunes entre 16 et 25 ans en préparation d’un CAP Pâtisserie, j’ai eu envie de me frotter à tous ces poncifs. Et preuve que j’avais moi-aussi des a-priori, ma première réaction après le tout premier atelier à Valence a été de dire au chef de projet Valrhona « ça s’est hyper bien passé, je pense que j’ai eu le groupe idéal ».

C’était sans compter sur les autres jeunes que j’allais rencontrer à plusieurs reprises à Lyon, Lille et Paris (7 ateliers en tout) qui m’ont tout autant agréablement surprise voire même, il faut bien le dire, sidérée !

Qu’est-ce qui m’a à ce point étonnée dans ces rencontres ?

Déjà, le fait que ces jeunes ont globalement confiance en eux et sont en capacité de s’auto-congratuler.

Evidemment, pas tous.

C’est encore compliqué pour certains de se faire des compliments, voire tout simplement de ne pas se dénigrer.

Pas toujours facile de se faire confiance et de se lancer sans savoir…

Pas évident de dire qu’on est fier de soi même si certains sont « grave contents » de leurs créations !

Et c’est suffisamment rare pour le signaler.

Combien d’adultes en effet continuent à penser que c’est malvenu, arrogant, orgueilleux voire grossier de reconnaître ses talents ? Et ne tarissent pourtant pas d’éloges sur les autres !

Sans percevoir qu’avoir conscience de ses qualités, de ce qu’on fait bien, des ressources que l’on a à sa disposition est précisément le préalable pour avoir des relations harmonieuses avec soi et avec les autres !

Ces jeunes m’ont semblé aussi très respectueux des règles, demandant beaucoup l’autorisation (parfois même à l’excès !) pour savoir s’ils avaient le droit de faire telle ou telle chose. Très déférents vis-à-vis de moi aussi, avec une difficulté à m’appeler par mon prénom (j’ai fini par laisser tomber quand on m’appelait « madame ») et encore plus à me tutoyer !

Je ne vais pas vous mentir, certains groupes étaient plus dissipés (tendance à parler tous en même temps, difficulté à lâcher le téléphone portable surtout) mais c’était vraiment une minorité. Et surtout, les recadrer était facile du fait des règles du jeu édictées ensemble au démarrage.

Ces jeunes m’ont également surprise par leur capacité à jouer le jeu (y compris pour ceux qui faisaient le Ramadan et qui, faute de pouvoir goûter leurs préparations eux-mêmes, les faisaient tester à leurs collègues. Vive le système D !).

Ils ont su sortir des sentiers battus pour se lancer facilement en créativité, malgré leur profil atypique de futurs pâtissiers ! Peu de barrière sur ce qui se fait et ne se fait pas en cuisine, sur le fait qu’il n’y avait pas de recette à suivre, ils ont parfois tenté des mariages audacieux !

Evidemment, certains avaient une idée précise de ce qu’ils voulaient faire avant de démarrer, quand d’autres séchaient complètement et d’autres encore avançaient en marchant….

Mais tous ont compris l’importance de se lancer même sans savoir (et ont ainsi fait preuve de courage et d’audace, selon leurs propres termes), de se mettre en mouvement et de regarder ce que font les autres pour s’inspirer !

Étonnamment, ils avaient aussi de belles capacités d’auto-analyse.

Ils n’ont pas eu besoin que je leur souffle l’idée que leur façon de cuisiner révélait des choses d’eux-mêmes : « je vais hyper vite, je finis avant tout le monde, c’est toujours comme ça », « moi, c’était du free-style, mais j’étais serein ». Pas plus que je les oriente sur les compétences qu’ils ont mobilisées pendant l’atelier.

Jugez plutôt : organisation, autonomie, créativité, lâcher-prise, minutie, concentration, apprentissage, persévérance, capacités à rebondir, self-control. 

Ces jeunes m’ont aussi époustouflée par leur maturité émotionnelle.

Tant dans leurs capacités à verbaliser leurs préférences. Par exemple, celle qui a préféré continuer en individuel alors que je donnais le choix entre activité solo ou en collectif. Il faut une bonne dose d’assertivité et de connexion à ses besoins propres à 20 ans pour faire quelque chose de différent du reste du groupe, non ? Ce qu’elle a assumé sans sourciller : « j’aime travailler seule si j’ai le choix, c’est dans mon caractère, mais je sais qu’il va falloir que je m’entraîne à travailler en équipe aussi ».

Que dans leurs capacités de verbalisation, y compris sur des sujets difficiles. C’est délicat, on le sait tous, d’exprimer ce qu’on ressent vraiment, de sortir d’un banal et insignifiant « ça va » pour se montrer dans toute son authenticité. C’est pourtant ce qu’ont fait ces jeunes, à plusieurs reprises :

-« je me sens pas bien, j’ai l’impression d’être au pied du mur »

-« j’ai eu l’impression de tout foutre en l’air avec ma proposition, je me suis sentie rejetée »

-« nous les gars, on s’est sentis pas écoutés, on était transparents »

Tout en acceptant que c’était leur ressenti, en l’assumant comme tel, c’est-à-dire en acceptant (parfois difficilement) que celui du voisin est peut-être différent. Et pourtant tout aussi valable !

Quand je parle de maturité émotionnelle, je fais aussi référence à leurs capacités à se faire des feedbacks qui permettent d’avancer (« tu n’as pas assez confiance en toi, tu regardes trop ce que font les autres et tu te dénigres ! ») et à prendre en compte ce que les autres renvoient comme image.

Là où trop d’adultes sont encore dans la négation de ce que les autres pensent, persuadés d’avoir raison. Ces jeunes se sont montrés capables d’entendre, d’apprendre et de s’améliorer. Parfois en un temps record !

Tel ce groupe pour qui l’activité collective a été tendue et qui manifeste malgré tout une confiance dans le fait que « ça se passera mieux la prochaine fois, on a appris de nos erreurs, faudrait même recommencer cet après-midi en atelier pour mettre ça en pratique tout de suite ! »

Tel cet autre groupe qui, alors je leur ai fait remarquer qu’il n’y a pas eu de gardien du temps, voit l’un d’eux s’improviser spontanément « time-keeper » dans l’activité d’après !

A souligner aussi, une belle maturité dans le travail en équipe. Normal, me direz-vous, ils s’apprêtent à devenir pâtissiers ? Peut-être….

Mais ils en sont encore loin, ils ont entre 16 et 25 ans (dans les faits, ceux que j’ai rencontrés avaient plutôt 20 ans)….. et je ne sais pas pour vous, mais le travail en équipe, ce n’est pas inné, non ? Cela s’apprend et se consolide toute la vie !

Et bien, pour ces jeunes-là, faire preuve d’entraide, de solidarité et d’écoute bienveillante les uns envers les autres s’est fait naturellement. Même le partage des ingrédients entre les groupes n’a pas posé de problème, chacun cédant de bonne grâce ce qui était nécessaire aux autres pour avancer !

D’où leur constat : « en équipe, c’est pas mieux ou moins bien qu’en individuel, c’est juste différent !

En groupe, on est dans le partage, la confiance, la solidarité…

En individuel, on peut mieux s’écouter soi ! ».

Ou encore « on s’est fait confiance, d’habitude je préfère faire seule, ça peut être frustrant de travailler en groupe, mais là c’était sympa de me reposer sur mes camarades. Chacun a mis sa touche ! Il n’y a pas eu de leader ! ».

Ces activités collectives leur ont également permis de prendre conscience de leur complémentarité : « on a fait au feeling, au fur et à mesure, j’étais celle qui tempérait un peu sur certaines choses, et ma collègue a donné le petit grain de folie qui est parfois nécessaire. C’est enrichissant de faire à 2 ! »

Incroyable mais vrai, certains ont même voté pour se mettre d’accord !

Oui, oui, ils ont voté à main levée au prétexte que « on est une équipe, on doit décider ensemble, non ? ». C’était manifestement important pour eux de faire jouer la démocratie et « d’écouter l’avis de chacun ».

Et cela leur a permis de ne pas prendre les choses personnellement quand leur idée n’était pas retenue.

Et quand bien même les implications de chacun étaient variables d’une activité à l’autre, quand bien même tous ne mettaient pas forcément la main à la pâte autant que les autres, le groupe avait la maturité de ne pas s’en offusquer, car « c’est pas grave Madame, parce qu’il ne faut pas confondre égalité et équité » !

Avec, à l’appui, explication de texte sur la différence entre équité et égalité et sur l’image ô combien parlante des spectateurs de foot !

Evidemment, ils n’ont eu aucune difficulté à verbaliser les facteurs clés de succès pour mieux travailler ensemble

  • S’écouter (être dans l’introspection et se sentir libre de dire ce qu’on ressent) et laisser à chacun de la place pour s’exprimer, quitte à imaginer un geste ou un code pour se faire entendre pour ceux qui ont du mal à faire émerger leur voix
  • Faire un tour de table au départ pour prendre en compte les idées de chacun et faire un break à mi-parcours pour voir si tout le monde est toujours en phase
  • Se concerter, partager la vision avant de s’organiser et se répartir les tâches
  • Faire preuve d’un esprit d’équipe, fait de solidarité, soutien, respect et non-jugement
  • Faire des compromis, ne pas imposer ses choix et ne pas se vexer si son idée n’est pas retenue
  • Être sérieux, faire preuve d’application et de concentration, mais aussi de détermination et motivation
  • Faire preuve d’adaptation et de souplesse, accepter de changer d’avis en cours de route
  • Respecter le timing

Alors évidemment, tout n’a pas été rose pour tout le monde : 

  • Certains avouant sans sourciller que si leurs idées ne sont pas acceptées par le groupe, ils le prendront mal.
  • D’autres ont eu du mal à s’autoriser à faire quelque chose d’imparfait et en un temps limité (« 30 minutes, c’est chaud, moi je fais de l’étoilé Madame ! »)
  • Cela reste compliqué pour quelques-uns de faire avec d’autres produits que ceux utilisés habituellement (« y’a pas des huiles normales ? ») ou tout simplement de faire différemment (« sucré salé, ça doit être space ! »)
  • Et pour d’autres encore, cela reste dur de faire des compromis et de faire quelque chose de commun jusqu’au bout (la tentation est grande de faire plusieurs assiettes faute de réussir à se mettre d’accord sur la décoration !).

Mais globalement, je suis quand même sidérée de leur maturité !

Cela remet en question beaucoup d’idées reçues, même si j’ai conscience qu’il s’agit d’un public particulier : des jeunes qui savent ce qu’ils veulent faire et s’apprêtent à préparer un métier exigeant où le respect des règles, la persévérance et le travail en équipe sont encore plus qu’ailleurs valorisés.

Il n’en reste pas moins que cela fait du bien :

  • de bosser avec des jeunes comme ça et de voir à quel point ils sont mûrs (ils sont mûrs tout court, et non pas « ils sont mûrs pour leur âge »)
  • et d’avoir la chance de leur transmettre quelques clés qui leur seront peut-être utiles plus tard. 

Pour conclure, je dirais que ce qui a permis que cela fonctionne :

  • ce sont les règles du jeu qui ont été posées en amont au sein du groupe et partagées par chacun
  • c’est le fait de définir ensemble un cadre sécure, qui a permis de faciliter les échanges et de rappeler régulièrement que chacun a son interprétation de la vérité et que tous les ressentis sont légitimes

 

  • c’est le fait de les encourager, leur donner confiance en leurs ressources et en leurs capacités à faire, et leur donner l’autorisation de faire comme bon leur semble, d’être à l’écoute de ce qui leur parait juste

  • c’est de les inviter à communiquer, à parler de ce qui ne va pas, à expliciter ce qu’ils souhaiteraient à la place…. Même quand cela paraît bizarre pour eux au début, en les guidant au besoin avec des questions : comment le groupe s’y est pris, comment chacun s’est senti(e), comment cela aurait pu mieux se passer…. 

La magie de la Cuisine Thérapie, une fois de plus !

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