La cuisine, un modèle réduit de démocratie ?

par | Réflexions culinaires | 2 commentaires

Il y a quelques jours, j’ai assisté à une pièce de théâtre atypique et décalée, qui m’a énormément interpellée et fait découvrir des choses sur moi-même. Bien sûr, cuisine thérapie oblige, il y avait un lien avec la cuisine : Verein, par un metteur en scène suisse Christophe Meierhans.

La cuisine, une pièce de théâtre ?

« Si un repas est a priori une réunion conviviale, il renferme en même temps nos convictions les plus personnelles : existentielles, éthiques, esthétiques, économiques, sociales, rituelles ou religieuses »… avec une mise en appétit pareille, difficile de résister à Montreuil pour aller assister à cette performance participative où ce sont les spectateurs qui cuisinent, des préparatifs à la cuisson et jusqu’au service !

La centaine de personnes qui se trouvait sur place a en effet été appelée à tour de rôle sur scène pour s’acquitter d’une instruction du livre de recettes. Les consignes, à la fois variées et précises (choisir des ingrédients qui s’associent bien, exclure un aliment créateur de dissensions, retirer un ingrédient que l’on ne mange pas), invitent chacun à faire à son idée, en tenant plus ou moins compte de l’avis général, en arbitrant entre intérêt personnel et intérêt collectif, en prenant la responsabilité de choisir pour les autres, en assumant ses points de vue ou au contraire en les taisant… bref en vivant la démocratie en cuisine. L’expérience culinaire devient un modèle réduit de la démocratie, et c’est juste fascinant !

Ce que j’en ai appris

Plutôt que de vous décrire la pièce (au demeurant très bien explicitée ici et commentée là), j’ai choisi de vous dire ce que j’y ai vécu, et surtout ce que j’y ai appris (et qui fait furieusement écho à ce que je peux observer lors des ateliers Papilles Créatives).

  • Un 1er constat d’abord : comme la démocratie, la cuisine en groupe ne se parle pas, elle se vit, elle s’expérimente, à coups de tâtonnements, d’essais – erreurs. C’est le « faire ensemble » et la mise en actions qui permettent d’aboutir à un résultat.
  • Il est essentiel de faire confiance au processus collectif : nul besoin d’avoir une structure trop formelle qui peut enfermer, tuer dans l’œuf les initiatives et la créativité, la clé est bien au contraire de générer une confiance collective, qui fédère, permet l’émulation, encourage les talents. Evidemment, cela donne lieu à un joyeux bordel sur la scène, on ne comprend pas tout ce qu’il se passe, qui fait quoi ni même si cela avance, mais cette posture invite justement à lâcher prise avec son besoin de contrôle.
  • Comme d’habitude, j’ai été fascinée par la puissance créative et le fait qu’elle soit démultipliée par le groupe : c’est fou ce qu’on peut imaginer lorsqu’on s’autorise à sortir des sentiers battus ! Mais aussi par l’extrême concentration des gens qui cuisinent : c’est comme s’ils étaient dans leur bulle, ils n’entendent plus rien de ce qui se passe autour d’eux. Très marquée aussi par l’atmosphère de convivialité qui se dégage de cette énergie créative (bravo au chanteur italien a capella, au jongleur improvisé et à ces apprentis serveurs tous spontanément montés au créneau sur la scène).
  • Même si le cadre explicite était quasi inexistant, il y avait quand même un cadre implicite : on savait tous pourquoi on était là (cuisiner ensemble pour pouvoir manger). C’est sans doute cet enjeu qui a poussé l’un des participants à proposer une piste pour structurer le groupe : sa suggestion d’élire un chef a rencontré une levée de boucliers, tant certains souhaitaient au contraire laisser les choses se dérouler collectivement et sans interventionnisme. Intéressant d’ailleurs de noter que je n’ai pas identifié de leaders sur la scène, il n’y a pas eu d’organisation formelle ou d’échanges particuliers. Et pourtant, je vous garantis que les choses ont avancé et qu’on a bien mangé (mention spéciale à l’agneau et aux légumes confits !).
  • J’ai trouvé épatant de constater à quel point certaines personnes ont vraiment joué pour le collectif, n’hésitant pas à faire la vaisselle sur la scène ! Quand d’autres se sont ouverts la bouteille de vin en catimini (alors qu’il y en avait 2 pour 100 convives). Agréablement surprise malgré tout que le collectif ait primé, malgré des autorisations données au fur et à mesure du déroulé qui auraient pu encourager la fronde et/ou l’individualisme (des suggestions écrites sur grand écran de cuisiner selon son goût ou de ne pas suivre la recette pour être sûr de manger !).
  • Autre éclairage important pour moi, il y avait ce soir-là beaucoup de scolaires, adolescents bruyants et dissipés et qui ont monopolisé la scène et en ont agacé plus d’un, moi comprise bien sûr. Nous étions un certain nombre donc à avoir des attentes de recadrage du groupe de jeunes d’autant plus que le professeur était présent avec sa classe. J’ai réalisé après coup que cette mission aurait pu incomber à n’importe qui d’entre nous, ce qui m’a inspirée deux enseignements : 1/ on a souvent tendance à râler sans ne rien faire, on reste des moutons de Panurge, bien au chaud dans notre posture de râleurs et 2/ les gens prennent la place qu’on leur laisse. A méditer, non ?
  • J’ai été également interpellée par ceux qui transgressent les règles, soit parce qu’ils vont récupérer des ingrédients précédemment exclus et sortis de la salle, soit parce qu’ils osent (à la demande d’une consigne du livre de recettes) « faire quelque chose qu’ils n’ont jamais osé faire avant » et jettent délibérément de la farine à la figure des cuisiniers, en prenant soin de s’excuser avant ! Je me suis aussi sentie un brin intimidée quand il a fallu monter sur scène sous le feu des projecteurs (j’étais sans doute plus à l’aise dans la posture d’observatrice, déformation professionnelle oblige ?). Et amusée par la néophobie alimentaire qui nous caractérise même adultes : les chouchous, ces légumes réunionnais à la forme bizarre, n’ont été utilisés que tout à la fin, après avoir été délaissés dans un 1er temps !
  • Et j’avoue, autant les interventions joyeuses, dissipées et bon enfant m’ont conquise, autant je me suis sentie agacée par le ton « consultant », donneur de conseils de certaines personnes hors de la scène. Preuve s’il en était besoin que j’accorde plus de légitimité à ceux qui sont dans l’action qu’aux inspecteurs des travaux finis qui se contentent de donner des conseils sans mouiller la chemise.

Bref vous l’aurez compris, cette pièce de théâtre a été une vraie claque et ce metteur en scène est mon nouveau héros ! Ce qu’il propose me paraît encore plus risqué que l’improvisation théâtrale, qui était jusque là le summum de la prise de risque pour moi (chacun ses peurs !) : obligé de lâcher sur le contenu, il ne peut pas s’appuyer sur un autre acteur dont il connaîtrait les compétences et en qui il aurait confiance, puisque ce sont les spectateurs qui font la pièce. C’est une remise en question et un nouveau spectacle tous les soirs. De l’intérêt encore une fois de faire confiance au processus créatif, de ne pas tout border et d’accepter de lâcher le contrôle. Une belle démonstration de ce que l’on est supposé faire face à un groupe, à mon humble avis.

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2 Commentaires

  1. Turquet de Beauregard Nathalie

    Très beau témoignage et belle retranscription (quel talent!) de cette expérience théâtrale innovante et déroutante ou les spectateurs sont les seuls acteurs. Et la récompense de leurs jeux culinaires a été le festin succulent partagé pour le final dans une ambiance conviviale avec des notes italiennes dans les oreilles ! Belle démonstration de la puissance créatrice du collectif en toute démocratie!

    Réponse
    • Papilles Créatives

      Merci Nath pour ce commentaire et surtout pour cette jolie soirée partagée et prolongée par des discussions enthousiasmantes sur le sujet ! Je prendrais bien du rab, tiens !

      Réponse

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