C’est moi qui cuisine !

par | Mieux se connaître | 0 commentaires

Ces personnes qui prennent tout en charge en cuisine

Qu’elles aiment ou détestent passer du temps derrière les fourneaux, que la cuisine soit vécue comme un plaisir gratifiant ou comme une corvée pesante, vous connaissez certainement autour de vous des personnes qui prennent tout en charge en cuisine ? Ces personnes ont du mal à accepter ou à demander de l’aide dans la préparation des repas, ne s’imaginent pas qu’un autre puisse faire à leur place et se plient en quatre pour recevoir du mieux possible quand elles invitent à dîner chez elles (quitte à s’éclipser toute la soirée). Une question intéressante est de savoir comment on en arrive à endosser (puis à maintenir voire à préserver coûte que coûte) le rôle et la responsabilité de nourrir systématiquement l’autre ? Quelles raisons, conscientes et inconscientes, poussent à privilégier cette posture ?

De toute évidence, le souhait de tout prendre en charge en cuisine peut être le fait de personnes tout simplement généreuses et ouvertes aux autres. Chargée d’une symbolique d’amour, la cuisine est un langage, et concocter des bons petits plats à l’autre permet de « nourrir le corps mais aussi la relation » (pour reprendre les jolis termes d’Isabelle Filliozat). Personnalités dévouées et serviables, les gens qui veulent tout faire en cuisine sont sans doute dans le driver « Fais plaisir » si l’on se réfère à l’Analyse transactionnelle.

En Analyse transactionnelle, un driver est un message contraignant, une injonction qui vient de l’extérieur et influence de façon consciente et inconsciente nos croyances et nos comportements. Au nombre de 6, ces drivers agissent comme une petite voix intérieure à laquelle il est difficile de résister, comme des « cookies installés dans nos disques durs psychiques par notre éducation » pour reprendre l’expression imagée de Sylvaine Pascual (Ithaque Coaching).

Revenons-en aux personnes qui prennent tout en charge en cuisine : il y a fort à parier qu’elles veulent plaire à l’autre et que la cuisine est un moyen de se montrer attentionnées et prévenantes, de nourrir l’autre, c’est-à-dire de lui donner les aliments nécessaires à sa vie et à son développement mais aussi plus largement d’entretenir et de subvenir à ses besoins. Le célèbre gastronome Brillat Savarin allait même encore plus loin en disant que « convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit ». Rien que ça ! Quand le don de soi se double d’une telle responsabilité, le risque est bien sûr d’être dans le trop, de gaver plutôt que de nourrir ou encore d’être tellement attentif aux besoins de l’autre que l’on en vient à s’oublier soi.

Mais s’évertuer à tout prendre en charge en cuisine peut aussi signifier le besoin d’occuper une place de choix dans la relation à l’autre, celle ayant trait à la fonction nourricière. Cuisiner permet alors d’être reconnu comme celui qui ne fait peut-être pas « bouillir la marmite » au sens qui est donné traditionnellement à cette expression (à savoir celui qui gagne de l’argent et assure la subsistance et l’entretien d’une famille), mais comme celui qui met la main à la pâte, nourrit concrètement les siens et leur apporte réconfort et bien-être. Cuisiner vient satisfaire un besoin de considération et d’estime de soi et peut s’avérer extrêmement valorisant et gratifiant, a fortiori pour des personnes qui considèrent ne pas avoir d’autre statut que celui de nourrir leurs proches. Evidemment, l’importance accordée aux retours des convives est alors grande et leurs compliments sont perçus comme autant de signes de reconnaissance. Avec le risque d’accumuler déception et frustration si ces compliments sont absents ou insuffisamment valorisants (ou nourriciers) pour le cuisinier.

D’autres personnes encore, et force est de constater que ce sont souvent des femmes, prennent la responsabilité totale en cuisine par tradition (parce que c’est comme ça qu’elles ont vu faire) ou par habitude (parce qu’elles ont toujours pratiqué ainsi). Un peu comme si elles reproduisaient un schéma de répartition des tâches machinalement et sans le questionner, par automatisme. Vous connaissez sans doute des femmes qui ont tellement intégré la cuisine comme un devoir familial qu’elles mitonnent des petits plats pour leur tribu même quand elles s’octroient une sortie au restaurant avec entre copines ?! Evidemment, cette place (auto-)assignée d’office n’empêche pas que le conjoint puisse cuisiner aussi, mais il y a souvent alors deux cuisines, l’une quotidienne (marquée par le don de soi et le sens du devoir) et l’autre le week-end (où désir de réalisation de soi, créativité ou envie de se relaxer sont prédominants). La cuisine devient alors au mieux une routine, au pire une corvée (c’est le cas pour 20% des Français dans une récente étude Ipsos) et le driver considéré est clairement « Fais des efforts », avec une priorité donnée au travail besogneux et acharné et au sens du devoir, voire du sacrifice.

Bien entendu, certaines personnes (hommes comme femmes d’ailleurs) se dédient entièrement à la cuisine parce qu’ils y trouvent un espace d’expression ou de relaxation voire de méditation. Ces cuisiniers appartiennent très certainement aux 40% des Français qui cuisinent par plaisir. La cuisine leur permet d’entrer en contact avec leurs ressentis et émotions, de lâcher leurs automatismes et d’être dans le plaisir de faire. Elle devient alors un territoire dans lequel ces cuisiniers aiment officier seuls, un espace d’intimité avec soi, une sorte de jardin secret voire une échappatoire. Vous connaissez sans doute des cuisines qui sont des chasses gardées, des domaines réservés à une personne que les autres respectent inconsciemment et dans lesquels ils ne pénètrent pas ? La cuisine se fait alors exclusive, elle permet à celui qui y officie d’être dans son monde, comme en retrait.

D’autres personnes encore n’abandonneraient leur cuisine pour rien au monde pour cause de perfectionnisme. Leur difficulté à lâcher prise et à accepter que l’autre puisse faire différemment leur fait très souvent considérer que cela va plus vite (et que c’est mieux fait) quand ce sont elles qui se collent derrière les fourneaux. Les drivers considérés ici sont clairement le « Sois parfait » et le « Dépêche-toi ». Ces cuisiniers prennent en charge l’intégralité de la préparation des repas de façon méthodique, productive et automatique. Tout en regrettant parfois l’absence d’aide ou de soutien de la part de leur conjoint et du reste de la famille et sans questionner l’espace (et la confiance) qu’elles laissent éventuellement à l’autre pour contribuer. Poussé à l’extrême, ce jusqu’au-boutisme en cuisine traduit sans doute aussi des difficultés à s’appuyer et peut-être à faire confiance à l’autre.

Autre cas de figure qui peut expliquer encore que certaines personnes endossent toute la responsabilité en cuisine, celui des personnes souffrant d’orthorexie. L’obsession de manger sain se combine en effet à un besoin de contrôler son alimentation. Or, quel meilleur moyen de contrôler ce qu’on mange que de le cuisiner soi-même ? Beaucoup de ces personnes insistent pour tout faire en cuisine ou pour que les convives n’apportent rien afin de maîtriser le menu de bout en bout. Difficile en effet pour les personnes orthorexiques de lâcher prise et d’accueillir sereinement ce que les invités auraient l’idée (farfelue, il va sans dire !) d’apporter. Le driver concerné ici est « Sois fort » qui consiste à rester stoïque et dans le contrôle en toutes circonstances. Au-delà peuvent se développer une hésitation voire une aversion à se laisser surprendre ou à laisser l’autre décider pour soi et une curiosité atrophiée pour ce qui est nouveau et différent.

Quid de leur capacité à donner et à recevoir ?

On le voit, la posture qui consiste à tout prendre en charge en cuisine n’est pas anodine : elle vient interroger la capacité à donner et à recevoir et le mode de relation à l’autre. De la même façon qu’en ne cuisinant pas, on se fait assister et nourrir par autrui et l’on perd une partie de notre autonomie*, en cuisinant systématiquement, on prend en charge l’autre et on lui « vole » peut-être la possibilité de faire lui-même. Dans un cas comme dans l’autre, il y a donc un « déséquilibre dans la loi de réciprocité » (Isabelle Filliozat), la fameuse règle du don et du contre-don. Il peut être intéressant alors de s’interroger sur ce qu’une personne qui cuisine tout le temps pour les autres accepte également de recevoir en cuisine comme dans les autres domaines de la vie d’ailleurs. Comme toujours avec la cuisine thérapie, il s’agit de mettre un peu de conscience dans nos comportements, de comprendre comment ils se sont mis en place, comment ils s’entretiennent et quelle résonance ils peuvent avoir au-delà de la cuisine.

* A noter ce témoignage éclairant qui fait suite à un article du blog : « quelqu’un qui s’en remet exclusivement à autrui pour s’alimenter a démissionné de la responsabilité de sa vie, et perd toute autonomie ».

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