Cuisine et boulot, même combat ?

par | Mieux se connaître | 0 commentaires

Quand la cuisine est-elle devenue un terrain bourré d’objectifs et d’enjeux ? Depuis combien de temps le simple fait de « préparer et accommoder des aliments de telle sorte qu’ils soient propres à la consommation et agréables au goût » (puisque c’est de cela qu’il s’agit si l’on en croit la définition officielle) est perçu comme anxiogène ? Pétrie de règles et d’obligation de résultat, la cuisine peut aujourd’hui engendrer stress, complexe d’infériorité (ou de supériorité) ou stratégie d’évitement.

Compétition, performance, résultat

Le discours militaire (que l’on parle des brigades et de leur organisation millimétrée) tout comme les distinctions existent depuis belle lurette en cuisine (les meilleures tables n’en finissent pas de gagner ou perdre leurs étoiles), et des classifications des personnes les plus influentes et autres buzzomètres de chefs ont même vu le jour. La télé-réalité et la médiatisation de la cuisine s’est largement développée depuis plus d’une décennie, rivant des téléspectateurs à leur écran dans l’attente d’un verdict éliminatoire et a inspiré des défis jusque dans les ateliers culinaires grand public, où l’on vous propose aujourd’hui d’organiser des « battles ». Même si elle reste encore seulement une corvée pour beaucoup, la cuisine est devenue un lieu où les mots pression et compétition règnent en maîtres. Comme dans l’entreprise en somme. Le parallèle avec le monde de l’entreprise est d’ailleurs édifiant sur le plan du vocabulaire. La cuisine comme l’environnement professionnel parlent de résultat à atteindre, de procédures à suivre scrupuleusement, de chronomètre à respecter et de phases d’anticipation et d’innovation. Bref de performance.

Effets pervers

Ce culte de la performance a deux dommages collatéraux en cuisine.

D’abord sur le plan individuel, il fragilise la personne en réveillant des peurs archaïques comme la peur de mal faire ou de rater, celle d’être jugé. Ces peurs renvoient à des blessures d’enfant, et au cocktail de honte, d’humiliation et/ou de culpabilité qu’on a tous pu ressentir à un moment ou à un autre face à quelque chose qu’on a eu le sentiment de ne pas réussir (que cette impression vienne de soi ou qu’elle nous ait été renvoyée par un autre). Se trouver dans cette posture en cuisine a un effet tétanisant dans la mesure où cela annihile toute envie : on ne s’autorise plus la liberté d’échouer, convaincu qu’on n’a pas le droit à l’erreur, et tout devient grave et se charge d’enjeux. A la clé, une peur de sortir du cadre, de faire différemment. La personne en vient à faire uniquement ce qu’elle maîtrise, à reproduire ce qui marche, à ne pas prendre de risque. A la clef, une cuisine fade et répétitive et réalisée sans plaisir. Comme dans l’entreprise, trop de pression sur le résultat (réussir à tout prix une recette) et un management par les seuls objectifs (époustoufler ses invités) étouffent dans l’œuf les idées culinaires créatives, et conduisent aux mêmes plats uniformisés et tristes.

Le culte de la performance a aussi des effets pervers sur le plan collectif, en développant les rivalités plutôt que la coopération. Lieu d’expression de soi porté à son paroxysme, où il ne s’agit pas tant de s’exprimer mais surtout d’exister, la cuisine peut devenir cet espace où l’enjeu est de se montrer, de se mettre en scène et d’épater les autres. Aux peurs précédentes viennent s’adjoindre d’une part la peur d’être comparé. La cuisine peut être le lieu qui étalonne, mesurer les performances entre plusieurs individus, elle met alors en jeu des comportements de rivalité. Il n’y a qu’à observer un groupe cuisiner ensemble pour comprendre les enjeux de pouvoirs et les stratégies qui se mettent en place. Même en tant qu’invité, faire aussi bien que notre hôte peut devenir une préoccupation et une source de stress, voire gâcher partiellement la dégustation du plat. S’en suit l’injonction, tout aussi délétère qu’en entreprise, de faire mieux que son voisin, d’être dans la surenchère perpétuelle. A la peur d’être comparé s’ajoute inévitablement la peur de lâcher prise et de se faire confiance et l’impossibilité de se reconnecter à soi, à ses besoins et à ce que l’on veut partager de soi, trop polarisé par le regard et le jugement de l’autre.

Et si l’on réinventait une nouvelle façon de cuisiner ?

Au final, la cuisine telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui fait l’éloge du faire, exactement comme l’entreprise valorise les collaborateurs qui s’évertuent à faire toujours plus et toujours mieux, au risque de s’épuiser à la tâche. Rarement considérée comme une activité sensorielle, une occasion de ralentir et de revenir à soi et de mieux se connaître, la cuisine est devenue anxiogène, pression du résultat et course à la performance obligent. Et pourtant, à l’heure où les sujets sur le bonheur et le bien-être au travail commencent à être relayés dans les médias, n’est-ce pas le moment de réinventer une nouvelle façon d’être en cuisine ? Valoriser ou réhabiliter la cuisine comme un endroit où l’on peut être juste soi, sans  esbroufe ni surenchère, un lieu de partage et de transmission où l’on peut prendre et donner du plaisir et s’octroyer l’autorisation de ralentir. Quelques articles ici et là encouragent à se reconnecter à soi et à suivre son intuition en cuisine (le mouvement No Recipe qui vient des Etats-Unis), ou à dédramatiser l’échec (les bienfaits de la sérendipité en cuisine, ou la vidéo « l’important, c’est de recevoir » d’Ikea qui permet sur le mode humoristique de se rappeler l’essentiel). Ou encore le manifeste de la cuisine populaire qui se démarque de l’injonction de perfection et revendique « l’imperfection, l’imprécision, le mélange des genres, le droit de modifier les règles et se veut comme une cuisine vivante, spontanée, intuitive, créative et chaleureuse ». Malgré ces signes encourageants, il reste encore beaucoup à imaginer pour instaurer une nouvelle vision de la cuisine, une cuisine bien-être qui permet de lâcher avec la pression, de dédramatiser les ratés, de déculpabiliser et d’encourager les chemins de traverse, et finalement de revenir à l’être.

 

Crédit photo : www.natarianni.fr, site d’ustensiles de cuisine.

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