Manger ensemble ou manger pareil ?

par | Mieux se connaître

En Italie, une nouvelle bataille idéologique fait rage depuis quelques jours autour d’un « panino », l’équivalent de notre sandwich. A la première lecture, je me suis dit : « après le carbonara gate au printemps dernier, après les velléités de la maire de Turin de créer la première ville végétarienne, les Italiens font encore parler d’eux sur un sujet Food ! ». En fait, la situation est beaucoup plus complexe que cela, et l’avis que l’on peut s’en faire… bien moins tranché.

Petit rappel des faits : à Milan, une fillette de 10 ans a été récemment exclue de sa cantine pour avoir amené son propre sandwich préparé par ses parents avec des ingrédients bio et a donc été obligée de manger son déjeuner toute seule dans une salle de classe. A y regarder de plus près (si l’on en croit en tout cas ce qu’en rapportent les médias), il semble que les parents fustigeaient la mauvaise qualité de la nourriture proposée par l’établissement et souhaitaient par ce geste « montrer qu’ils refusaient la tyrannie du repas de la cantine ».  L’affaire aurait pu s’en tenir là, mais la presse nationale et les politiques se sont emparés de cet incident pour lancer un débat idéologique « sur les limites de l’autorité parentale, le rôle de l’école dans l’éducation nutritionnelle des enfants et l’égalité de tous dans l’enceinte de l’école publique ».

Si vous préférez lire, rendez-vous sous la vidéo.

Les raisons d’une bataille idéologique

Au final, si cet incident divise à ce point, c’est sans doute parce qu’il vient « chatouiller » plusieurs dimensions :

1/ Une dimension pédagogique d’abord : la cantine, et plus globalement l’école, est un endroit fait de règles, et celle de Milan stipule dans son règlement qu’il est « interdit d’introduire dans les réfectoires de la nourriture venant de l’extérieur ». Evidemment, la possibilité est laissée aux élèves de rentrer déjeuner chez eux si les parents le souhaitent. L’affaire du panino interroge finalement la finalité d’une cantine. Lieu de restauration collective dédié à des enfants, la cantine a bien évidemment une dimension nourricière (sustenter les élèves pendant la pause méridienne) mais aussi pédagogique. Transmettre et inculquer des repères en matière d’éducation au goût d’une part,  inviter les enfants à incorporer des normes (et pas seulement des aliments) d’autre part. Ce que l’établissement de Milan résume par son souhait de « garantir que les repas soient pris dans des conditions d’hygiène contrôlées par l’école et d’éduquer les enfants à la nutrition et à la composition d’un repas équilibré. Sans oublier le partage et la convivialité qu’on apprend sur les bancs des cantines ».

2/ Une dimension égalitaire ensuite : dans une école publique, le moment du repas n’a pas seulement une valeur éducative, puisque « la cantine garantit à tous les enfants, indépendamment des ressources des parents, au moins un repas complet par jour ». La cantine permet donc à tous les élèves de bénéficier d’un menu équilibré à un prix calibré et de partager peu ou prou le même repas. La cantine permet de gommer, si ce n’est d’abolir, les différences sociales le temps d’un repas, elle invite à partager la « parenté par la bouillie », le fait de partager un même repas.

3/ Une dimension sociale enfin : les enfants ne font pas qu’incorporer des aliments et des normes à la cantine, ils s’incorporent aussi dans une communauté de mangeurs. La cantine (comme la tablée familiale d’ailleurs) établit une frontière entre ceux qui y vont…. et les autres. A tel point que certains enfants peuvent se sentir exclus de « ne pas en être ».  Et pas seulement parce que la cantine permet de compiler des souvenirs culinaires souvent désastreux (ah, la mauvaise image de la cantine, qui devient presque une légende urbaine !), encore que ces souvenirs fassent sans doute partie de l’héritage de base des enfants (voire, soyons optimistes, leur permettent de mieux apprécier les repas en famille ?!). La cantine permet une continuité de partage au sein des activités éducatives de la journée et offre aux enfants la possibilité de tisser et d’approfondir leurs liens.

C’est la raison pour laquelle la stigmatisation de cette fillette (la seule à amener son sandwich à la cantine) tout comme son exclusion de la cantine (la seule à manger dans son coin) sont largement discutables selon moi :

  • L’une parce que cela revient à faire porter à un enfant le poids des décisions de ses parents : bizarre de prendre le risque d’exposer son enfant à ce point pour des raisons idéologiques, non ? Versus utiliser d’autres moyens de pression, comme par exemple faire une pétition en mobilisant d’autres parents voire… en discuter tout simplement !
  • L’autre parce que c’est un acte radical, démesuré, profondément injuste (en plus d’être manifestement contre-productif !) : punir l’enfant pour atteindre les parents, même après plusieurs avertissements et même en prétextant une punition de principe et symbolique, n’était clairement pas la bonne décision. Ce qu’a reconnu l’adjointe au maire, chargée de l’éducation, qui recommande plutôt de « confisquer le déjeuner apporté par l’enfant, et de le forcer à manger au réfectoire avec les autres »… Hum, pas vraiment sûre que cela soit mieux !

La crise du manger ensemble

Bref, ce que révèle la crise du panino (et la bataille idéologique qui l’entoure), c’est finalement ni plus ni moins que le casse-tête du manger ensemble. La cantine, parce qu’elle propose des repas structurés et identiques pour tous apparaît bien souvent comme l’un des derniers remparts contre la crise de la commensalité, définie comme le fait de manger ensemble. A l’heure où l’alimentation se fait de plus en plus déconstruite, où l’obésité progresse de façon inquiétante, où se multiplient les régimes spécifiques et particuliers, manger ensemble rassure. Cela permet en effet de produire du lien et facilite l’intégration dans un groupe. Bien entendu, maintenir le « manger ensemble » nécessite des efforts et signifie une réflexion en amont pour proposer une alimentation de plus en plus à géométrie variable (avec notamment les interrogations portant sur l’intégration des menus végétariens dans les cantines).

Mais manger ensemble veut-il nécessairement dire « manger pareil » ? S’agit-il de partager de la nourriture (manger la même chose et « produire du semblable » pour reprendre l’expression du sociologue de l’alimentation Claude Fischler) ou de partager des valeurs communes autour du fait de se nourrir, comme l’ouverture, l’accueil à l’autre et la tolérance par exemple ? Veut-on maintenir la « communion dans l’alimentation » (chère à la tradition catholique en France) ou s’oriente-t-on vers une alimentation contractuelle comme c’est le cas Etats-Unis par exemple ? Le débat n’a pas fini de se poser tant « les questions symboliques, les malaises psychologiques et leurs expressions sociales se concentrent actuellement sur l’acte de se nourrir » comme le dit si justement Patrick Denoux, maître de conférences en psychologie interculturelle à Toulouse !

Crédit Photo : www.lacucinaitaliana.it

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